Se retirant discrètement vers la salle de bain, Idriss offrit aux deux amis l’intimité nécessaire. Comment aborder cette situation à présent qu’ils étaient seuls ? La question hantait Argo, toujours au-dessus d’Orion, ou plus exactement en lui. L’Asiatique se retira délicatement, cherchant à préserver les draps et ainsi avoir la latitude pour s’y étendre, côte à côte avec le blond fébrile, sans que le liquide vienne troubler leur quiétude. Un sourire gêné se dessina sur son visage, il avait depuis un moment saisi le jeu subtil orchestré par Idriss. Le début des complications semblait officiellement annoncé. Il semblait plus que temps de mettre des mots sur les événements de la soirée, mais également sur les émotions qui en découlaient.


Optant pour la sincérité, Argo aborda la situation par des aspects les moins cruciaux. Sentant le corps délicat d’Orion se glisser contre lui, une sensation agréable se propageant en lui comme une douceur réconfortante après les événements de la soirée. Une étreinte dans laquelle Orion trouva refuge autant que lui, un moment de réconfort dans l’après, où les émotions et les pensées tumultueuses cherchaient à être canalisées et comprises alors qu’elles fondaient sur eux telles les eaux tumultueuses d’un barrage venant de céder brutalement.


— Tu sais, c’était ma première fois ce soir. Enfin, la première fois qu’un homme me prend. Je n’imaginais pas que ça arriverait comme ça pour une première fois, hésita Argo. 


Un instant, le silence sembla se prolonger, donnant à la scène un goût âpre d’angoisse naissante et d’incertitude. Le regard d’Argo erra sur le visage du blond, cherchant des indices, des réponses aux questions muettes qui planaient entre eux. Un nœud d’angoisse se forma dans sa gorge, amplifiant la tension déjà présente dans l’air avant que son compagnon décide enfin de briser le silence.


— Je suis désolé…, murmura Orion.

— Désolé de quoi ? C’était agréable ! Le bassiste, étonné, leva un sourcil interrogateur.

— Je t’ai traîné dans ce jeu. Tu aurais peut-être voulu le faire avec quelqu’un que tu... aimerais.


Son meilleur ami demeurait obstinément insensible, incapable de saisir la complexité de ses sentiments, mais ils avaient franchi un point de non-retour et l’ignorance ne pouvait demeurer désormais. Sentant le corps du chanteur s’adosser un peu plus contre le sien, un remords tenace l’étreignit. Argo, résolu, prit l’initiative. Les choses devaient être exprimées telles qu’elles étaient, sans détour ni échappatoire. Du moins, était-ce le plan d’origine.


— Orion... j’ai justement accepté pour cette raison.


Argo baissa les yeux vers celui qui le fixait. Son regard brun revêtait une douceur particulière, et il se mordilla les lèvres avant de partager ses pensées, voulant lever le voile sur le malentendu.


Orion se redressa, soutenu par ses coudes, son expression évoquant une totale perplexité. Il s’écria d’une voix involontairement forte, manifestant son incompréhension profonde.


— Tu aimes Idriss ? Ou… tu veux dire avec…


Il n’eut même pas la force de finir la phrase et Argo se figea quelques instants. Ce dernier éprouvait de l’amour pour Orion, mais par moments, la manière de penser de celui-ci le frustrait. Pourquoi semblait-il toujours interpréter les choses de manière déconcertante ? Peut-être que son meilleur ami avait du mal à concevoir l’idée d’un amour entre eux deux. Agacé, Argo répliqua avec une pointe de véhémence :


— Oui avec toi Orion ! Avec toi ! Ça a toujours été toi !


Dans cet élan passionné, Argo se laissait emporter, réalisant que peut-être c’était la seule façon pour Orion de saisir les sentiments qui le tourmentaient sans relâche depuis qu’ils s’étaient rencontrés. Il le désirait plus que toute autre chose au monde, et le voir s’enfermer dans le déni lui faisait l’effet d’une douleur lancinante qui ne pouvait guérir. Orion parut pris au dépourvu, confronté à une éventualité qu’il n’avait jamais envisagée. Se redressant pour éviter le regard direct du blond, Argo savait que cette conversation allait déterrer des secrets enfouis, potentiellement altérer leur amitié irrémédiablement, mais pour autant il était prêt à toute éventualité. Bien que l’avenir demeure incertain, certaines vérités devaient être exprimées. Il n’était plus temps de se taire, la possibilité de le faire avait disparu au moment où leurs corps s’étaient rejoints pour ne faire plus qu’un.


— Argo... est-ce que tu m’aimes ? Tu n’as pourtant jamais rien dit…

— Je n’ai rien dit parce que quand j’ai eu le courage de le faire, t’as commencé à fréquenter des personnes en allant directement les draguer. Je me suis dit que si t’avais envie d’être avec moi, tu aurais tenté quelque chose.


Il replia ses genoux contre sa poitrine. Le poids de la confidence le faisait souffrir, et se remémorer ces moments douloureux, ne faisant que creuser davantage la plaie déjà à vif. Ses soirs où il avait vu Orion se tendre vers Idriss presque inconscient de ce mouvement physique et de l’intimité entre les deux hommes que cela criait au monde. Réclamer ses lèvres au vu et au su de tous sans la moindre honte ou pitié pour lui dont le cœur se brisait et qui pourtant ne pouvait détourner le regard qu’au moment où les lèvres se scellaient.


Le silence s’étira et, n’y tenant plus, Argo reprit presque avec brusquerie : 


— Laisse tomber. Pardon. J’aurais pas dû te dire ça. On oublie ?


Il priait pour qu’un retour en arrière soit possible, mais alors que le temps de réponse s’étirait dans une tension presque palpable, il ne put que s’avouer qu’il n’y croyait pas. Même l’insaisissable Orion ne pourrait totalement oublier cette confession. Mais alors qu’il sentait son cœur se serrer et que ses doigts venaient se refermer sur les draps dans un mouvement nerveux, la douce voix du chanteur perça l’ambiance, mais aussi son cœur.


— Je suis perdu. C’est un fait. Mais une chose est sûre : je te veux pour la vie. Et je ne peux pas oublier. Je ne veux pas oublier Argo.


Il resserra son étreinte autour d’Orion avec une intensité accrue, les battements cardiaques résonnant comme un écho dans la pièce. La cadence frénétique de son cœur fit craindre à Argo une crise cardiaque imminente. Il se sentit obligé de rompre le baiser, cherchant frénétiquement de l’air, une main posée précipitamment sur sa poitrine tandis que des rougeurs se répandaient sur ses joues. Le flot d’émotions l’avait laissé muet, sa capacité à parler évanouie dans un tourbillon de sensations contradictoires. C’était comme si le monde entier s’était réduit à ce moment, suspendu dans le temps, où les émotions s’entremêlaient dans une danse chaotique.


C’est à cet instant précis qu’Idriss, tel un spectateur silencieux, effectua son retour dans la pièce. Une serviette soigneusement enroulée autour de sa taille, il arborait un sourire satisfait au coin des lèvres, révélant qu’il n’avait pas perdu un mot de la conversation.


— Et bien, il était temps. Vous vous êtes enfin dit ce que vous ressentez l’un pour l’autre. Écoute pas Orion, il est amoureux depuis longtemps, il est juste dans le déni. C’est la raison même de ce petit jeu. Mais t’avais plus ou moins compris, non Argo ? taquina Idriss en s’adossant au montant de la porte.

— Comploteurs ! réalisa Orion, la voix un brin accusatrice.

— J’avais compris que tu voulais m’aider... pas qu’Orion également ressentait…, commença timidement Argo sans aller au bout de sa phrase.


Idriss afficha un sourire, clairement satisfait du résultat obtenu. Argo, attentif à chaque nuance d’expression sur le visage d’Idriss, comprit sans un mot que le plan d’Idriss prenait forme avec succès. Avant de partir, le propriétaire des lieux lança une dernière révélation à destination du chanteur.


— La salle de bain est libre. Oh et Orion... j’ai vu que t’étais jaloux. Tu feras croire à personne que le fait que je prenne Argo t’as rien fait. Allez je file, allez à la douche et prenez tout le temps que vous voulez pour redescendre.


Jamais Orion n’avait arboré une teinte aussi écarlate, détournant précipitamment son regard comme s’il voulait échapper à l’intensité du moment. Un silence gênant s’installa après le départ d’Idriss, ne laissant que le léger frémissement des rideaux comme seul témoin de l’inconfort palpable.


Argo, tentant de dissimuler son propre embarras derrière un sourire forcé, accompagna le propriétaire des lieux du regard. Une tension électrique flottait dans l’air, et le bassiste, instinctivement, laissa échapper un soupir retenu. Ses doigts cherchèrent machinalement l’oreiller à proximité. Argo, dans un geste impulsif, lança l’oreiller en direction d’Orion. Un éclair de surprise traversa les yeux du chanteur.


— Je t’ai dis ce que je ressentais et toi tu me caches que t’es amoureux. Je croyais que c’était à sens unique, Orion !, s’époumona le bassiste.


Le blond plissa le front et repoussa l’oreiller sur le côté, clairement perplexe quant à la raison pour laquelle Argo agissait ainsi. Dans l’esprit d’Argo, cette action n’était qu’une tentative désespérée d’apaiser les tourbillons d’émotions. Cependant, l’Asiatique, jusqu’à présent convaincu que ses sentiments étaient à sens unique, réalisa que ce n’était pas le cas. Orion, malgré ses airs détachés, était, lui aussi, prisonnier de cet amour. 


Un silence s’installa, parsemé de regards échangés, chacun tentant de déchiffrer les émotions de l’autre. Le bassiste décela une détermination inattendue dans le regard d’Orion, comme s’il était prêt à ouvrir les portes longtemps scellées de son cœur. Ce moment de confrontation inattendu marquait un tournant dans leur relation. Orion, déterminé, se préparait à s’expliquer.


— Je ne sais pas... enfin si... mais je ne savais pas, moi ! Je pensais juste que... qu’on était heureux et voilà.


Les doigts d’Orion naviguaient à travers les plis du drap, témoignant de son agitation intérieure. Idriss avait semé le doute, et maintenant, le blond semblait pris dans de nombreuses interrogations. Son regard reflétait l’inquiétude, comme s’il était sur le point de remettre en question tout ce qu’il pensait savoir.


— J’étais… jaloux. Ça c’est vrai. Mais je ne savais pas pourquoi ! C’était juste... aussi excitant que frustrant...

— Comme c’est frustrant oui… Idriss l’a compris avant moi et même avant toi. Il n’a pas l’air comme ça, mais il cache bien son jeu, Argo s’en voulait de ne rien avoir vu depuis tout ce temps. Peut-être auraient-ils pû être ensemble bien avant. 

— Il est bien trop malin. Mais... et bien, je suppose qu’on devrait lui dire merci, ajouta Orion.

— Crois-moi, je n’y manquerai pas.


Argo observa Orion du coin de l’œil, son regard empreint d’un mélange d’accusation silencieuse et de résignation. Puis, avec une certaine intensité, Argo plaqua Orion contre le lit et l’embrassa, comme si les mots avaient déverrouillé son être tout entier, du moins dans toutes les situations où il laissait transparaître sa véritable personnalité libérée du poids des chaînes de l’hésitation et de la peur.


Se redressant, Argo manifesta son envie d’aller à la douche. Il se leva du lit et prit la main d’Orion, celui-ci lui montrant le chemin qu’il connaissait fort bien.


Le bassiste envisageait, tout en marchant, de faire un cadeau exceptionnel à Idriss chaque Noël à partir de ce jour en reconnaissance de son geste qui avait débloqué une situation tendue depuis bien trop longtemps. Orion semblait enfin émerger, et peut-être qu’un moment rien qu’à eux, bien mérité, s’annonçait. D’autant plus qu’Idriss leur avait laissé carte blanche. Alors qu’il se glissait sous la douche, Argo s’arrêta pour exprimer les émotions qui l’assaillaient.


— Orion... Ne pars jamais de ma vie parce que je ne te laisserais pas partir.

— Je ne te laisserais pas. Et toi ne me quitte pas pour un grand et fort type ténébreux.


C’est avec des sourires en coin complices qu’ils passèrent dans la cabine vitrée, leurs corps se pressant l’un contre l’autre.


***


Le lendemain, Argo s’éveilla sur leur canapé, que, pour une raison inconsciente, Orion refusait de jeter malgré le déménagement et la possession désormais officielle de deux chambres séparées. Peut-être pour le garder près de lui à jamais ? Quel imbécile pouvait-il être ! Maintenant qu’il y pensait, cela semblait presque évident. Il tourna la tête vers Orion, qui dormait encore, étonné de constater à quel point les choses avaient changé entre eux en une seule nuit. Une émotion indéfinissable l’envahit. Leurs jambes étaient entrelacées, et Orion était blotti contre lui. C’était là qu’était sa place. Avec lui. Contre lui. Et il espérait que chaque matin à partir de ce jour-là serait ainsi, doux et tendre.


Il posa ses mains sur l’ovale du visage du blond et s’approcha pour lui donner des baisers doux dans le cou, le réveillant en douceur. Avait-il le droit de faire cela ? Orion ne lui dirait probablement rien, il avait l’habitude de finir endormi sur lui, ignorant volontairement le réveil. Cette proximité entre eux était à la fois habituelle, mais également nouvelle. Familière et totalement inconnue, il leur faudrait du temps pour s’habituer, mais cela ne serait que mieux.


Avez-vous déjà entendu parler de cette étrange réaction du cerveau humain face à une profusion d’amour ? Le bassiste, lui, la connaissait pour avoir un jour, par ennui, ouvert une revue médicale dans une salle d’attente anonyme. Bien qu’il n’ait jamais expérimenté cette sensation jusqu’alors, il se rappela brièvement de cette lecture qui évoquait une réaction inattendue du cerveau humain envers un surplus d’affection. Cette information lui revint en mémoire lorsque, impulsé par un instinct puissant, Argo choisit de mordre délicatement Orion. 


Ce geste n’était pas destiné à lui infliger de la douleur, la pression exercée par sa mâchoire était bien trop délicate. Cette action visait plutôt à libérer la tension résultant de l’excès d’amour. Un moyen singulier de canaliser le débordement émotionnel selon les spécialistes. Pour lui, la raison était en revanche moins psychologique et plus primaire. C’était lui, face à un homme beau et délicieux qu’il rêvait de dévorer en sachant pourtant que s’il le faisait réellement, il serait dans l’obligation de vivre sans lui.


Le bassiste fut pris au dépourvu lorsqu’un élan soudain anima son compagnon, pourtant profondément endormi un instant plus tôt, qui se jeta presque sur lui, le mordillant joyeusement à son tour. À cet instant, une vague de pur bonheur déferla sur Argo. Il enlaça de ses bras son... copain ? Ce terme résonnait étrangement après tant de temps. Quoi qu’il en soit, la sensation était agréable, et dans l’effervescence du moment, Argo lâcha spontanément :


— Moi aussi je t’aime Orion.


Il avait souvent prononcé ces mots, mais à présent, ils semblaient revêtir une signification nouvelle. Ses yeux s’écarquillèrent soudain, prenant conscience de la portée de ses paroles. Une teinte rouge se répandit sur ses joues et son estomac se tordit, se retrouvant pris au dépourvu, sans trop savoir comment naviguer dans cette situation.


— Je veux dire... tu sais…


Un silence planait, laissant Argo dans l’incertitude quant aux pensées d’Orion sur cet instant précis. Il craignait d’avoir compromis quelque chose de précieux entre eux, à un stade si précoce de leur relation naissante. Et encore, il n’était toujours pas certain que relation il y ait.


Puis, un baiser tendre vint interrompre les angoisses d’Argo, une étreinte affectueuse de ses bras autour du cou d’Orion. Il répondit au baiser avec une passion débordante, comme si le simple contact physique ne suffisait pas à exprimer l’intensité de ses émotions. C’était comme s’il avait un besoin insatiable de fusionner avec son copain, tant son amour débordait. Et le manque de réponse verbale ne le dérangeait pas. Ils avaient le temps. Lui pour séduire Orion un peu plus chaque jour, et le blond pour apprendre à mettre des mots sur ses émotions et parvenir à son rythme à choisir quand les dires.


Argo, désormais assis sur les genoux d’Orion, se souleva légèrement pour éviter de reposer tout son poids sur son ami, approfondit le baiser avec abandon. Puis, il posa son front contre celui du chanteur dans un geste d’intimité profonde.


— Je ne regrette pas. Je t’aime. Je veux rester avec toi. Sans date de fin. Est-ce grave ?, souffla Orion.


Front contre front, Argo ressentit les interrogations muettes d’Orion. Lui aussi était plongé dans une réflexion interne similaire. L’absence de la bouche d’Orion se faisait déjà ressentir, créant un vide que seul le contact physique pouvait combler. Il se sentait dépendant de la présence de l’autre. Comme si sa soif ne pouvait être éteinte que par ses lèvres, et sa faim que par son corps. C’était intense, et diablement incroyable.


— Si tu m’aimes pas encore totalement, je te promets que je ferais tout pour que tu ne le regrettes pas. 


Argo, un brin timide, occupait ses doigts en jouant nerveusement avec le tissu écossais du canapé La douceur de ce que venait de dire son ami l’avait touché d’une manière si adorable que la timidité s’était emparée de lui, rendant difficile pour Argo de faire face à cette situation.


— Je ne peux pas regretter quelque chose que j’ai choisi. Toi, je t’ai choisi, continua Orion.


Les larmes de bonheur perlant aux coins des yeux d’Argo, il scella cet échange émotionnel en embrassant Orion avec une tendresse infinie. Enfin, ils avaient prononcé les mots qui définissaient leurs nouvelles relations. Après des années d’errance, où les émotions restaient silencieuses, tout avait maintenant changé. Un sourire illuminait le visage d’Argo tandis qu’il contemplait Orion avec une nouvelle clarté dans les yeux.


— Joyeux Noël, souhaita timidement Argo.

— Joyeux Noël, Argo.